1Les jets « créent-ils des emplois » ?
Interrogé sur France Inter le 23 août, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, a tenu à le rétracter : “Les jets privés sont dans la majorité des cas des transports commerciaux, ils créent des emplois.” Contacté par franceinfo, le cabinet du ministre a précisé les propos de ce dernier : “Selon l’association professionnelle Ebaa France [qui défend les intérêts de l’aviation d’affaires], l’industrie du jet en France représente 118 000 emplois et 29 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. “ Le nombre d’emplois proposés par l’entreprise est confirmé par un rapport Ebaa publié en 2018 (p. 52). Pourtant, selon les derniers chiffres publiés par ce lobby européen, ce nombre n’était que de 101.500 emplois en 2021. Ce total comprend les “emplois directs” comme les personnels navigants, “les contrôleurs aériens, les équipes de maintenance” et les employés des constructeurs d’avions, détaille avec franceinfo Xavier Tytelman, consultant aéronautique pour le magazine spécialisé Air et Cosmos. Mais il couvre également les « emplois indirects » : les compagnies aériennes et l’industrie aérospatiale consomment en fait des services, par exemple la restauration, et des matières premières. A titre de comparaison, le nombre d’employés dans le secteur de l’aviation d’affaires équivaut à celui d’une grande compagnie aérienne comme Lufthansa.
2L’usage privé des jets ne représente-t-il qu’une « toute petite partie » de leur trafic ?
Quelles sont les raisons de voyager en jet privé ? Toujours à France Inter, Olivier Véran a confirmé que “l’usage privé du jet privé est une toute petite partie de l’usage du jet”. Le porte-parole sous-entend que l’utilisation du jet privé pour les vacances, comme le font certains ultra-riches, est loin d’être majoritaire. Selon Ebaa, cité par l’AFP, 80% des vols en jet sont à des fins professionnelles, comme le déplacement de techniciens ou de cadres. Cependant, l’ONG Transport & Environnement note une augmentation de 50% des départs de jets privés en juillet par rapport à janvier en Europe, ce qui se reflète également dans les chiffres du trafic aérien publiés par Ebaa, principalement vers des destinations touristiques comme Nice.
3 La valeur nette moyenne des propriétaires de jets privés est-elle de 1,5 milliard de dollars ?
Selon l’association Attac, seuls les milliardaires peuvent se permettre de posséder un jet. Selon un rapport de la compagnie d’aviation d’affaires Vistajet, c’est vrai : la valeur nette des propriétaires de jets privés est en moyenne de 1,5 milliard de dollars, car la monnaie européenne est à parité avec le dollar). Et pour cause : selon le même rapport, le prix d’un appareil est de plusieurs dizaines de millions de dollars, ce qui réserve l’acquisition d’un jet aux “plus riches d’entre les riches”. En effet, des programmes de copropriété ou des vols à la demande ont été créés pour permettre à des clients ou professionnels moins fortunés de voyager de cette manière. Mais à plusieurs milliers d’euros l’heure de trajet, le billet reste hors de portée pour de nombreuses bourses. En France, explique Xavier Tytelman, la plupart des jets appartiennent à “de petites compagnies aériennes qui n’ont parfois qu’un, deux ou trois avions qu’elles peuvent mettre à la disposition d’un seul client”.
4 Un passager d’un jet privé émet-il dix fois plus de CO2 qu’un client d’une compagnie aérienne ?
Sur Twitter, Julien Bayou déplore la quantité disproportionnée de pollution par passager émise par le transport en jet par rapport à un vol classique. Selon l’ONG Transport & Environnement, un jet privé, par passager, émet 5 à 14 fois plus de CO2 qu’un avion. Le chiffre « dix fois plus » de CO2 cité par le secrétaire national des Verts se situe au milieu de cette fourchette. Des rejets trop élevés expliqués par le faible nombre de passagers transportés à chaque voyage : “Il n’y a en réalité que 4,7 passagers en moyenne par vol” alors qu’un avion commercial en transporte “plusieurs centaines”, explique Mireille Chiroleu-Assouline, écologiste et enseignante. à l’École d’économie de Paris. “Même si un jet est un avion plus petit”, les émissions de CO2 par passager sont donc “significatives”, renchérit Cédric Philibert, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales et expert de la décarbonation industrielle. De plus, 41% des vols en jet privé ne transportent pas de passagers, selon les données de 2014 publiées dans un rapport commandé par l’Ebaa. Les compagnies opèrent en effet des “vols dits de position”, explique Xavier Tytelman, c’est-à-dire des transports à vide pour récupérer leurs passagers. Dis “tu es à Milan et tu dois aller à Strasbourg”, explique le consultant aéronautique. Si aucun jet n’est disponible à Milan, un avion doit être commandé de “Paris à Milan puis retour à vide de Strasbourg à Paris”. Cependant, certaines compagnies aériennes tentent de réduire l’utilisation de cette pratique. La tendance est en effet de “rentabiliser les avions” en proposant des billets à “petits prix” pour remplir les vols vides, explique François-Xavier Bogillot, président d’Excell’Jets, société spécialisée dans l’affrètement de jets privés.
5 Les jets privés en France ne représentent que 0,2% de nos émissions de CO2 ?
Guillaume Kasbarian, député Renaissance d’Eure-et-Loir, estime pour sa part que la polémique sur la pollution par jet n’a pas lieu d’être. “L’aviation en France c’est 2,5% d’émissions de CO2 et les jets privés [représentent] 8% du trafic [aérien]. D’une manière générale, éliminer tous les jets privés signifie réduire nos émissions de 0,2 %. Grand max », a tweeté l’élu. Recalculons : en 2019, les émissions des vols en jet privé en France s’élevaient à près de 400 000 tonnes de CO2, selon l’ONG Transport & Environnement (p. 20). Cela représente 1,7 % du trafic aérien français. des émissions du trafic (23,4 millions de tonnes en 2019, selon le ministère des Transports) soit 0,09 % des émissions totales de CO2 pour la France entière (436 millions de tonnes en 2019). Peut-on donc supposer que les émissions des jets sont négligeables ? D’abord, prévient le chercheur Cédric Philibert, le CO2 n’est pas le seul gaz à effet de serre émis par l’aviation privée. Les jets émettent également “des particules d’oxyde d’azote dans la haute atmosphère”. Des rejets qui créent des “voies” et contribuent au réchauffement climatique “autant que le CO2”, note l’expert. Ensuite, estime Mireille Chiroleu-Assouline, “pour le CO2, tout est problématique et aucune réduction d’émissions ne doit être négligée, même s’il n’est pas juste d’affirmer, comme Julien Bayou, que s’attaquer aux jets privés aura un impact significatif sur [le climat]”Il y a aussi la question de l’égalité” qu’il faut prendre en compte, rappelle l’économiste. A l’heure actuelle, “on ne demande pas d’efforts aux super-riches – le kérosène, par exemple, n’est pas taxé – quand on demande à tous les citoyens”, déplore-t-il.